Génération L Word Par Marjorie Marcillac jeudi 25 juin 2009, à 14h23
Depuis quelques années, les lesbiennes ont amorcé un mouvement de sortie médiatique et ont changé d'image pour devenir plus lipsticks. Une visibilisation qui n'en est qu'à ses débuts...TÊTUE.COM a interrogé les spécialistes de la question du monde lesbien et Virginie Despentes...
GÉNÉRATION L WORD NEW«La visibilité lesbienne n'est pas totalement réalisée, mais il y a quand même eu beaucoup d'avancées», comme l'admet Jocelyne Fildard, 62 ans, membre de la Coordination des lesbiennes de France. Les luttes sociales antérieures ont permis à la nouvelle génération de sortir du placard avec plus de facilité. À mon époque, lorsque Martina Navratilova affirmait son homosexualité, évidemment que ça faisait du bien ! Si ces personnalités permettent de s'identifier et d'oser vivre au grand jour, on ne va pas s'en plaindre.»
Ces dernières années - signe d'une évolution des mentalités - de plus en plus de films mettant en scène des personnages lesbiens non caricaturaux (Imagine Me & You, Tipping The Velvet, D.E.B.S.), voire même des personnages principaux de séries télé (The L Word, South of Nowhere, Sugar Rush), ont permis de diversifier les références. La lesbienne n'est plus seulement la camionneuse de service. Tour à tour terriblement sexy ou garçon manqué, timide ou provocante, elle est devenue multiple. L'image véhiculée des lesbiennes s'est donc transformée. Il y a encore vingt ou trente ans, les seules lesbiennes visibles étaient masculines. Aujourd'hui, c'est le couple de femmes féminines qui est très représenté. Mais le fait que la lesbienne ne soit plus uniquement perçue comme masculine annonce-t-il vraiment la fin d'un tabou?
wendy delormeSelon Wendy Delorme, écrivaine, performeuse burlesque et actrice queer, rares sont les filles publiquement «out» qui dérogent aux règles du genre féminin. «Les lesbiennes sont médiatisées si elles sont féminines, ou si elles sont mères, analyse-t-elle. Lesbienne bandante aux yeux des mecs ou figure maternelle, on a le droit à la médiatisation, on ne fait pas peur puisqu'on correspond encore aux archétypes rassurants de la mère et de la putain. Lesbienne masculine ou gouine radicale, on est souvent en disgrâce de notoriété. Le jour où non seulement les lesbiennes s'afficheront sans peur et sans honte, mais où le fait d'être une femme masculine ou une personne transgenre sera aussi accepté, on pourra peut-être crier hourra !»
La nouvelle génération semble en effet vouloir récupérer certains codes de la féminité jusqu'à présent très stigmatisés dans les groupes lesbiens : cheveux longs, talons, rouge à lèvres... «Le collage aux codes de la féminité hétéro n'est pas ce qu'il y a de plus porteur en termes de changement social», souligne Natacha Chetcuti, sociologue à l'École des hautes études en sciences sociales et coauteure de -Lesbianisme et féminisme: histoires politiques. Mais tout dépend de ce que l'on attend: une annulation des catégorisations de genres ou une réintégration de la lesbienne à la catégorie «femme» ?
Nouvelle façon d'être «out»Aujourd'hui, et c'est valable pour toutes les luttes sociales, nous ne sommes plus dans une période de militantisme fort. Le marxisme et le lesbianisme politiques ont marqué les esprits dans les années 1970-1980. Les mouvements se définissaient à partir d'une contestation de la marge. Contestation qui s'est affaiblie dans les années 1990. Les mouvements sont devenus plus pragmatiques depuis les années 2000. Plus séducteurs aussi. La nouvelle génération a changé de tactique et utilise les armes du marketing et de la communication pour rendre la culture lesbienne plus «appétissante» et accessible. À en croire le succès de la série, cette approche amorcée par The L Word porte ses fruits et réussit à intéresser le grand public à la planète Gouine.
Il y a onze ans, l'animatrice américaine de talk-show Ellen DeGeneres, alors actrice de sitcom, pressentant un outing plus ou moins proche, préféra construire un événement médiatique maîtrisé autour de son coming out. Elle rendit également public l'été dernier son mariage avec sa compagne, l'actrice Portia de Rossi. «Révéler son homosexualité n'a pas du tout été contre-productif pour Ellen. Elle anime depuis 2003 un show télé quotidien qui cartonne et utilise son immense popularité pour militer pour les droits LGBT», analyse un spécialiste du monde l'audiovisuel.
D'autres célébrités, dont l'homosexualité est un secret de Polichinelle, semblent avoir, consciemment ou non, inventé une nouvelle façon d'être «out». L'actrice Jodie Foster, par exemple, qui n'est jamais officiellement sortie du placard, a récemment commencé à ne plus se cacher. Arborant une alliance de chez Tiffany à l'annulaire gauche, remerciant «[sa] beautiful Cydney» devant la presse en décembre dernier, donnant à ses enfants le nom de famille de sa compagne, pour finalement la quitter pour une autre femme.
Quant à Lindsay Lohan, enfant star (22 ans et 19 ans de carrière au compteur) ravagée par la machine hollywoodienne (elle a enchaîné les cures de désintoxication), elle affiche aujourd'hui une nouvelle sérénité aux côtés d'une jeune femme. Cerise sur le gâteau, la jeune actrice clame haut et fort que sa stabilité est due à sa DJette préférée Samantha Ronson, avec qui elle habite, espère avoir des enfants, partage des tatouages communs, etc. Le fait que les photos people relayent l'image d'un couple épanoui n'a rien de négatif.
Loin des projecteurs et des tapis rouges,
le combat pour la visibilité est cependant
loin d'être terminé. « La lesbienne est un produit marketing depuis des années. Que ce soit dans l'industrie porno mainstream, dans l'univers des spectacles érotiques ou tout simplement dans la pub, rappelle Wendy Delorme, avec la tendance porno chic ou lesbian chic des années 1990 des marques Dior, Versace, Sisley, etc. Pourtant, on se fait toujours harceler et agresser quand on est une femme, ou qu'on est trans ou homo.» Si les coming-out de people peuvent aider les jeunes lesbiennes à trouver des repères, leur impact sur l'évolution des mentalités reste moindre. «Dans leur vécu concret, les lesbiennes ont toujours beaucoup de mal à annoncer leur homosexualité à leur famille. Elles sont généralement contraintes à l'hétérosexualité à un moment de leur vie et sont encore souvent rejetées par leur famille», rappelle Natacha Chetcuti. Les stéréotypes sociaux n'ont pas autant évolué qu'on aimerait le croire. Pourquoi les personnages publics devraient être les seuls à montrer l'exemple ? Lesbiennes, par ici la sortie du placard, fini
la naphtaline.
Chronologie de la visibilité lesbienneNavratilova1981 La championne de tennis de l'ex-Tchécoslovaquie Martina Navratilova fait son coming out juste après avoir obtenu sa nationalité américaine. Cette légende vivante du tennis sera par la suite connue pour son engagement pour les droits LGBT.
Kd langAoût 1993 La chanteuse K.D. Lang se fait raser par la top model Cindy Crawford en une du mensuel people américain Vanity Fair. En 1992, elle avait fait son coming out dans le magazine gay et lesbien The Advocate.
Mars 1997 K.D. Lang et Ellen DeGeneres s'embrassent lors de la remise du Los Angeles Gay and Lesbian Center Creative Integrity Award.
Ellen de generes Avril 1997 «Yep, I'm gay !» Ellen DeGeneres fait son coming-out en couverture de l'hedomadaire Time et sur le plateau du Oprah Winfrey Show. Deux semaines plus tard, son personnage dans la série Ellen déclare son homosexualité à son psy, joué par Oprah Winfrey. Ce double épisode (Puppy Episode, saison 4) bat des records d'audience.
1999 Pendant l'Open d'Australie, Amélie Mauresmo révèle son homosexualité dans une interview donnée au Figaro. La joueuse de tennis a tout juste 19 ans et déclare qu'elle doit ses bons résultats à sa relation avec Sylvie, sa copine de l'époque.
Rosie o donnel Février 2002 «I'm a dyke !» («Je suis gouine !»). C'est ainsi que la célèbre animatrice de talk-show Rosie O'Donnell
sort du placard lors d'une soirée au bénéfice de la recherche contre le cancer de l'ovaire.
Avril 2002 Lancement d'Afterellen.com, site américain consacré à l'actualité des lesbiennes dans les médias et le divertissement, créé par Sarah Warn. Ce site a pour slogan « Because visibility matters » (« Parce que la visibilité compte »).
Samantha fox Février 2003 Samantha Fox, sulfureuse chanteuse anglaise des années 1980 (Touch me), 36 ans, révèle son désir de passer le reste de sa vie avec sa manager et compagne Myra Stratton, dans les colonnes du quotidien The Mail on Sunday.
Mai 2003 Amélie Mauresmo fait la Une de Paris Match avec le titre : « J'ai trouvé la femme de ma vie. » Avec cette couverture, elle devient l'icône lesbienne française. Elle sera à nouveau à la une du même magazine en décembre 2005, juste après s'être imposée aux Masters de Los Angeles confirmant sa position de n°1 du tennis mondial féminin.
l wordJanvier 2004 La série américaine The L Word, créée par Ilene Chaiken, est diffusée sur le réseau Showtime. La sixième et dernière saison de la série sera diffusée en janvier 2009. Alice Pieszecki (Leisha Hailey) devrait être l'héroïne d'un spin-off (ou série dérivée) de la série.
2004 Le New York Post
et le Daily News outent Cynthia Nixon (Miranda Hobbes dans la série américaine Sex and The City).
Mai 2006 Mary Cheney, fille du vice-président des États-Unis, ouvertement lesbienne et républicaine, s'oppose à l'amendement constitutionnel californien d'interdiction du mariage homosexuel.
Juin 2006 Cynthia Nixon embrasse
sa partenaire Christine Marinoni
lorsqu'elle remporte le prix de la meilleure actrice aux Tony Awards (meilleures pièces
de théâtre aux États-Unis).
Décembre 2007 L'actrice américaine et icône lesbienne Jodie Foster fait enfin un pas hors du placard le jour de la remise du Sherry Lansing Leadership Award pour l'ensemble de sa carrière. L'actrice de 45 ans remercie sa « beautiful Cydney », c'est-à-dire la productrice Cydney Bernard, qui est alors sa compagne présumée depuis 1993. Depuis, elles se sont séparées.
ellen et portiaMai 2008 Dans son talk-show sur la chaîne NBC Ellen DeGeneres, 50 ans, annonce son mariage avec la comédienne Portia de Rossi (actrice de la série Ally McBeal), 35 ans. Elles se marient le 16 août à Los Angeles.
Septembre 2008 La starlette hollywoodienne Lindsay Lohan (Freaky Friday), 22 ans (et dix-neuf ans de carrière), confirme qu'elle sort avec la DJ lesbienne Samantha Ronson (31 ans) « depuis très longtemps », en direct sur les ondes d'une radio de Los Angeles, KROQ FM. Depuis un an, «Lilo» et sa compagne faisaient les choux gras des magazines people.
Virginie DespentesL'auteur de Baise-moi et de King Kong Théorie se réjouit que les people s'affichent.
Selon elle, toutes les lesbiennes en profitent.
TÊTUE: Ces people qui vivent au grand jour leur vie amoureuse aident-ils vraiment à faire évoluer les mentalités ?Écoute, si le message qui passe c'est « tu es gouine, tu as douze ans, tu peux donc envisager dans un avenir proche de gambader avec une Lindsay Lohan sur la plage », je ne crois pas que ça soit un message négatif. Pas seulement pour les petites filles qui savent déjà qu'elles sont gouines, d'ailleurs, mais aussi pour toutes celles qui risqueraient de se fourvoyer dans l'hétérosexualité sans ces messages d'appel puissants et clairs. Que les mentalités évoluent et que le comportement des people évolue en conséquence, ça va de soi. Que les personnalités ne soient pas là pour servir d'exemple, ça va de soi aussi. Tu sais quelle vie elle mène, Lindsay Lohan ?
La lesbienne serait-elle devenue tendance car lisse et hétérotypée ?Ellen DeGeneres ne me fait pas du tout l'effet d'une pin-up. Judith Butler ou Skin du groupe Skunk Anansie non plus. Et la sexyssime petite amie de Lindsay Lohan ne fait pas trop dans la dentelle. J'ai l'impression que la vague de gouines qui débarque sur la scène publique depuis dix ans est plus complexe et agitée que ça. Le moment me semble mal choisi pour chipoter sur le port ou non de rouge à lèvres.
Mais ça ne vous énerve pas que même chez les lesbiennes, ce soit des femmes qui respectent les codes de la féminité qui soient «acceptées» ?Les filles de The L Word sont à l'image des filles de la plupart des séries américaines. Qu'elles soient hétéros, jeunes, vieilles, blanches ou noires, elles sont bonnes. Parce que ce sont de vieux gros mecs qui produisent ou qui dirigent les chaînes et qu'ils n'envisagent pas de voir une fille à l'écran qui ne les exciterait pas. Et ce ne sont pas les plus excitantes qui les excitent. Dommage pour nous. De la même façon, que les filles plus féminines se sentent plus à l'aise dans un système de boulot ou de hiérarchie ne me semble pas dû au fait qu'elles soient gouines et féminines, mais simplement féminines. C'est toujours ce qui est le plus récompensé. Essaye d'être une grosse hétéro mal coiffée avec des pantalons trop larges, tu ne seras pas très bien reçue non plus. Maintenant, que des gouines qui portent des hauts talons profitent des mêmes a priori positifs qu'une hétéro, je ne vois pas où est le problème. Il n'y a pas besoin d'une double peine.
Ne regrettez-vous pas que la nouvelle génération de lesbiennes médiatiques ne soit pas plus militante ?J'ai l'impression que quelque chose est en train de se passer. La culture gouine a eu à peine le temps de prendre un peu d'ampleur et de visibilité que, déjà, il faut la fliquer, la juger, la jauger, la freiner, la déclarer pervertie, vide de sens. C'est regrettable. Forcément, c'est un mouvement de meufs. On devrait donc forcément donc être méfiant, condescendant, se pincer un peu les narines et bouder son plaisir. Dans les années 1970, quand la culture PD a explosé, je ne crois pas que les mecs aient commencé par se juger entre eux, juger untel trop viril et l'autre bandant mais pas assez politique, le succès d'untel immérité, etc. Ils ont commencé par profiter de ce qui se passait. Et c'est peut-être ce qu'on a de mieux à faire. D'autant qu'il n'est pas dit qu'on pourra en profiter longtemps.
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